22/10/2012
Epoque : du "syndrome de la touche étoile" au "trading à haute fréquence"
Face à ce stade suprême de la société productiviste, un philosophe agnostique constate (sur Radio Notre-Dame) la convergence de l'Eglise et des mouvements de simplicité volontaire :
Ce matin à Radio Notre-Dame (ici), Louis Daufresne recevait Jean-Michel Besnier, professeur à la Sorbonne et à Sciences-Po, qui publie chez Fayard un essai intitulé : L’Homme simplifié - le syndrome de la touche étoile.
4e de couverture du livre : « Les avancées technologiques sont telles que l’homme du XXIe siècle en est comme simplifié. L’auteur analyse le phénomène et décrit comment l’irritation que peut provoquer l’usage systématique de la touche étoile des téléphones portables est emblématique d’une déshumanisation profonde du monde contemporain...La mécanisation de l'humain a marqué le début des temps modernes. L'extension des technologies dites intelligentes consacrera-t-elle son aspiration à la bêtise ? «Appuyez sur la touche étoile», répète le serveur vocal qui contraint son interlocuteur à faire la bête pour être servi. Si les machines prétendent nous simplifier la vie, elles réduisent aussi nos comportements à la logique de leur fonctionnement dépourvu d'ambiguïté, d'ironie ou d'émotions. Parce qu'elle est insidieuse, la déshumanisation est redoutable. Jean-Michel Besnier dissèque ici sans ménagement «l'homme simplifié» que nous consentons à devenir, au gré des conceptions scientifiques et des innovations techniques. Étonnante, cette servitude volontaire appelle une révolte d'un nouveau style, que seule attiserait encore la littérature : celle de l'homme revendiquant sa complexité et son intériorité comme le signe de sa liberté... »
Besnier explique l'impact humain de la robotisation marchande de la société. Dans la logique du « cerveau planétaire » (le cyber-espace dont les Pigeons – tant aimés des libéraux – roucoulent la rentabilité), les internautes ne sont que des neurones interchangeables. L'individu devient abstraction, simple relais des machines : boîte noire recevant des inputs et émettant des outputs. Au même moment, d'ailleurs, le technoscientisme (idéologie de l'industrie biotech) persuade l'homme de ne se voir que comme un ensemble d'organes, un « amas de cellules », l'esprit n'étant que de la chimie ; ce qui légitime toutes les manipulations du vivant depuis sa conception – en laboratoire – jusqu'à son éradication.
L'éveil de l'humanité s'est appuyé sur le langage et l'outil ; aujourd'hui l'outil prend le pas sur le langage et lui substitue un système (de plus en plus pauvre) de signaux rigides, conditionnés par les machines et ne pouvant servir à échanger des idées : le signal n'est pas un langage, il peut charrier des humeurs mais n'appelle pas de réponses....
Or le grand public – formaté par le marketing de masse – est complice de ce processus : s'exprimant aux Etats-généraux du christianisme devant plusieurs centaines de catholiques, Besnier dit avoir senti chez ses auditeurs le même flottement que chez tous les consommateurs contemporains. Pourtant ce ne devrait pas être le cas : le public catho ignorerait-il* les mises en garde des évêques français** au sujet de la technolâtrie et du consumérisme totalitaire ? Le professeur de philosophie (déclarant par ailleurs son incroyance) approuve l'Eglise de résister à l'asservissement du langage par l'outil. Contre cette « servitude volontaire », on voit éclore des mouvements de « simplicité volontaire » qui prônent une modération dans l'usage des technologies nomades : c'est-à-dire une autodiscipline personnelle. Démarche tout à fait contraire à l'addiction consumériste qui est le ressort du capitalisme tardif ! Besnier souligne la convergence de cette « simplicité volontaire » avec la pensée sociale catholique. C'est un signe des temps.
Juste avant l'émission de Radio Notre-Dame, une autre station venait de diffuser une chronique sur le « trading à haute fréquence » : la robotisation du casino spéculatif mondial, par laquelle le prix des matières premières – y compris alimentaires – ne dépend plus de l'offre et de la demande mais d'automatismes machiniques instantanés, lesquels donnent en outre des moyens inédits et incontrôlables aux fraudeurs.
Qui peut encore faire silence sur ces choses ?
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* Donnant une conférence à Saint-Nazaire sur l'Eglise et l'écologie plénière (humaine et environnementale), j'avais vu les trois quarts de l'assistance rejeter la technolâtrie, mais un quart s'horrifier à l'idée d'un monde où l'on n'achèterait plus tous les ans le nouveau smartphone : « vous voulez qu'on revienne à l'âge des cavernes ? ». (Trois quarts / un quart : il y avait apparemment moins de formatés à Saint-Nazaire qu'à Strasbourg. Mais un gros travail de prise de conscience reste à faire).
** Livres de la CEF au Cerf : Grandir dans la crise, Enjeux et défis écologiques pour l'avenir, etc.
11:20 Publié dans Idées, Sciences, Société | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : communication, philosophie, consumérisme
Commentaires
PANS
> Tout un pan de l'ancien public "catho progressiste" est acquis au mythe du progrès dont fait partie "la technologie qui libère l'homme", mais tout un autre pan de ce même public sympathise avec l'écologie (plus ou moins plénière selon leur degré de fidélité au Magistère).
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Écrit par : louis-marie ramos / | 22/10/2012
PROGRESSISME CONFORMISTE
> Ni progressisme, ni libéralisme ne veut pas dire que le catholique ne veut pas du progrès et qu'il ressent une profonde aversion pour la liberté. Evidemment non. La doctrine catholique donne un cadre dans lequel doit s'exprimer le progrès et la liberté de l'Homme.
Le progrès a eu des définitions nombreuses ... On appelait progressiste, celui qui pensait que l'avènement de la machine allait donner mécaniquement à l'Homme une dignité dont les anciens modes de production le privaient. C'était une forme de scientisme qui allait parfaitement avec le temps du 19°. Aujourd'hui, le progressiste est celui qui ne s'oppose pas à ce qu'on appelle les "évolutions" de la société. Dans cette logique, c'est le temps qui passe qui amène mécaniquement son lot de bonnes nouvelles ... Le progressisme est devenu un libéralisme comme un autre où du désir de chacun découle forcément un Bien pour tous.
C'est l'époque du coolisme : "c'est cool, tu fais ce que tu veux" nous répètent inlassablement les publicitaires et apologistes du temps présent.
Peu importe finalement que de cette égoïsme économique et social aient émergé guerres, inégalités, injustices, apologistes et publicitaires ont ménagé au sein du monde occidetal riche un espace où le rire et la liberté sont inscrites.
Et nos diamants viennent de Sierra Leone, notre pétrole réchauffe la planète et fait monter les eaux, notre méfiance d'autrui, facteur de phagocytation de notre liberté et de notre bien-être, nous conduit au déficit des naissance, à la construction de murs et à une consommation déraisonnée ...
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Écrit par : Spooner / | 22/10/2012
SOUMIS A LA MACHINE
> On le constate tous les jours en entreprise : à force de se servir de machines et du fait que les machines ne peuvent pas tout faire, on finit par s'adapter à elles à force de se reposer sur elles.
Comme je ne suis pas d'accord, je me réoriente.
On adopte des logiciels pour faire les choses parce que cela va plus vite, car plus efficaces etc
or, ces logiciels sont conçus de telle façon,
donc tous leurs usagers finissent par travailler de telle façon
comme les logiciels ne peuvent tout faire, il y a des pans entiers qu'on finit par laisser de côté car essayer de s'y pencher prendrait trop de temps voire remettrait tout une organisation du travail en cause.
Du coup cela revient à faire comme si c'était la machine le patron.
"Alors c'est ça le téléphone ? on vous sonne et vous y allez ?" c'est ce qu'a répondu Degas, il y a plus de 100 ans, quand on lui a expliqué ce qu'était le téléphone. Pour lui le téléphone transformait en domestique.
Le fait est : combien de nous sont esclaves de leur portable ?
Il y a des passages très intéressants du livre "La 25e heure" sur ce que l'auteur appelle "l'homme-machine".
Le matérialisme athée y est autant décrié que le matérialisme mercantile.
Soljenitsyne faisait les mêmes critiques.
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Écrit par : zorglub / | 22/10/2012
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